J’étais sur l’autoroute du marché du travail. Devenue productrice à l’âge de 27 ans, après avoir enfilé à grande vitesse les métiers de coordonnatrice, de régisseuse puis de directrice de production, ça roulait assez vite et bien. Ma réputation était bonne : j’avais un poste permanent, un bon salaire, de belles possibilités d’avancement. Bref, tout y était pour me bâtir une carrière solide. Je roulais donc avec une belle vitesse de croisière sur une belle autoroute bien droite… puis est venu mon premier garçon lorsque j’avais 30 ans. Arrêt complet pour 1 an. Méchant changement de rythme, vous en conviendrez !
Un an plus tard, je suis retournée sur l’autoroute, à la poursuite de ma carrière, le bureau rempli de dossier, après avoir laissé le petit à la garderie. Première constatation : la route n’était pas aussi droite qu’avant mon congé de maternité et je ne roulais plus aussi vite qu’avant. Il y avait maintenant plusieurs obstacles auxquels je devais faire face.
Il était terminé le temps où ça pouvait retarder en salle de montage et que je devais rester avec le client. Il fallait maintenant partir chercher le petit ou discuter avec mon conjoint pour comparer nos horaires et déterminer lequel de nous deux avait la réunion la plus importante.
Si le petit était malade et que ça ne « fittait » pas avec journée de tournage, je devais trouver une gardienne. Je ne pouvais pas déplacer la journée d’un tournage prévu depuis des semaines, avec un gros budget, des clients et une équipe complète et je ne pouvais pas non plus me faire remplacer. Méchant sentiment de culpabilité que de savoir ton enfant fiévreux dans les bras d’une presqu’inconnue alors que tu es assise derrière une table avec des clients à regarder une équipe tourner un bol de céréales aux framboises desquelles on a enlevé tous les poils à la pince a épiler (c’est pour faire beau). C’était ma réalité, comparable à celle de centaines de mamans qui concilient travail-famille.
Du coup, j’avais remarqué quelques changements dans mon attitude au travail. Je fuyais maintenant le « small talk » et les discussions de photocopieuses. Puisque je voulais que chaque minute soit maximisée afin de partir le plus tôt possible chercher mon garçon, le social devenait un obstacle à éviter. J’ai donc commencé à diner à mon bureau en travaillant. Et que dire du trafic! Il m’enlevait du temps de qualité avec mon fils. Chaque minute passée dans la voiture en était une de moins à voir mon fils grandir et se transformer, cinq soirs par semaine.
Puis est venu mon deuxième enfant. Sauf que pendant ce congé de maternité, j’ai eu une idée que j’ai décidé de commercialiser avec ma sœur Isabelle : un petit foulard-bavoir qui remplace le bavoir traditionnel. Glup était né, nous avions créé une compagnie ! J’ai alors fait face à un gros dilemme : faire grandir la compagnie ou retourner à ma carrière de productrice. Le premier choix impliquait de ne pas avoir de salaire pendant quelques années, sans compter le risque que ça ne fonctionne pas et le risque de ne pas me retrouver un emploi aussi payant et stable dans mon domaine, si c’était le cas. Mais ce même choix impliquait aussi de voir grandir mes enfants, d’être là pour eux lorsqu’ils sont malades ou que la garderie ferme, d’aller les chercher à la sortie de l’école ou tôt à la garderie pour passer plus qu’une heure par soir avec eux, de prendre le temps de bien faire les choses sans être toujours à la course et de travailler en linge mou dans le confort de mon sous-sol.
J’ai donc laissé de côté ma carrière pour tenter ma chance, même si je crois maintenant qu’on la « fait » sa chance. Avec ma sœur Isabelle, nous avons travaillé beaucoup, mais toujours dans le plaisir, pour bâtir cette compagnie qui me rend heureuse à chaque jour. Être entrepreneure me comble plus que je ne l’aurais imaginé. Parfois, les plateaux de tournage, les gens de ce milieu que je côtoyais et le gros salaire me manquent, mais c’est passager. Je n’échangerais pas cette belle vie que je me suis créée. Je l’avoue : je m’amuse, parfois même, je « joue » à travailler !
Après maintenant huit ans, je confirme que j’ai pris la bonne route. L’autoroute est devenue une belle route de campagne d’où je peux admirer les paysages et où je peux m’arrêter quelque fois pour prendre une bouffée d’air, mais surtout, avoir une qualité de vie incomparable. Bien sûr, je n’ai plus le même salaire ni le même train de vie, mais ce n’est rien comparé au bonheur de voir mes enfants grandir près de moi et d’avoir suivi mon cœur, mes valeurs et la poursuite d’un grand rêve : devenir entrepreneure ! Ce rêve me permet d’être libre, d’avoir du plaisir et de contribuer à la société. Je crois que j’ai fait le bon choix.
Je connais quelques mamans de mon entourage qui ont changé de carrière après l’arrivée de leurs enfants ou qui veulent le faire. D’autres ont dû trouver des solutions pour concilier le travail et la vie familiale ou tout simplement mettre leur carrière en veilleuse. Et vous ? Avez-vous passé par quelques phases de remises en question ?